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9 janv. 2012

Mécanisme de la peur


Patrice, dans la force de l'âge, est un quadragénaire fermement ancré dans sa routine quotidienne : métro, boulot, dodo. Mais cette léthargie, cette inertie, insupportent chaque jour un peu plus sa femme. Un matin, Patrice oublie encore une fois de ranger sa tasse de café dans le lave-vaisselle. C'est la goutte qui fait déborder le vase.


Quand il rentre, le soir, éreinté par une journée de Mah-Jong intensive, il trouve devant sa grille un sac de voyage, et une enveloppe, avec un billet d'avion.
Aller-retour : Paris Charles De Gaule - Fortaleza, Brésil.
Avec un seul commentaire : « si tu n'y vas pas, je divorce. »

Il n'a donc plus le choix, prend l'avion, et dès qu'il arrive, est prit en charge par une société touristique qui a déjà tout anticipé, tout préparé : ce sera Safari-Croco cette année, et dès demain.
Notre pantouflard chevronné est dépaysé, aux anges. Le lendemain, il se réveille donc comme une fleur, saute dans ses bottes, et 4 heures de Land Rover plus tard, se retrouve au beau milieu d'une forêt luxuriante où coulent paresseusement les eaux rejoignant l'Amazone.
Les consignes sont pourtant très simples : rester avec le groupe. Mais notre ami n'en a que faire, il s'éloigne, jusqu'à en perdre la trace des autres.
Et, dans cet endroit plein de l'harmonie et de la quiétude de Dame Nature, Patrice se laisse distraire par quelque magnifique arthropode, qui se trouvait malheureusement sur son chemin.

C'est là que tout dérape. Un mouvement presque imperceptible froisse la surface de l'étendue d'eau. Une masse sombre se profile, mouvante, glissant sur les flots.

Au moindre mouvement, les yeux de Patrice ont déjà perçu l'origine de celui ci. L'influx créé est directement transmis au thalamus.

Le cheminement de la peur (soit du stress aigu).


Le thalamus réagit au quart de tour, et envoie à l'amygdale ce qu'il vient de recevoir, soit « une énorme masse sombre mouvante vient d'apparaitre » : peu précis, mais extrêmement rapide.

L'amygdale, experte en détection du danger, déclare l'alerte en ordonnant à l'hypothalamus de mobiliser -au cas où- les capacités de tout l'organisme de Patrice.

Conséquence, l'hypothalamus, à l'aide de neurotransmetteurs comme l'adrénaline, dope le corps de Patrice, augmente sa fréquence cardiaque, sa possibilité à absorber de l'oxygène en respirant, irrigue ses muscles en priorité : tout ce qui peut permettre à cet être charitable de sauver sa peau, si ce qui est en face de lui représente un danger imminent. Tout ce cheminement s'est déroulé en un temps infime ; quelques dixième de secondes. 

En parallèle, le thalamus a aussi fait parvenir les données venant des yeux jusqu'au cortex visuel, qui les analyse : le message est plus lent, mais bien plus précis. Il est mis en relation avec tous les autres message perçus par les sens, comme le cortex auditif qui a permis à Patrice d'entendre le frémissement de l'eau, et qui surtout lui a fait découvrir qu'il se tient à moins de deux mètres d'un superbe caïman. C'est une fois les informations décryptées par le cortex que notre congénère a conscience de ce qui se passe – soit une seconde environ plus tard.

Mais ce n'est pas tout, il faut vérifier que la menace est réelle ; après tout un caïman peut être inoffensif. Le portrait du reptile est donc expédié à l'hippocampe, spécialisé dans la mémoire des évènements : effectivement, il n'y a pas plus d'une semaine, Patrice a vu Crocodile Dundee, où l'un de ces animaux attaque sauvagement une jolie demoiselle. Et il se remémore aussi que dans le 19/20, il y avait eu un incident tragique lié à ces bêtes là dans un zoo. Il y a donc toutes les raisons d'avoir peur.

L'amygdale n'avait donc pas tort, elle en rajoute donc, en imposant à diverses glandes cérébrales de submerger le cerveau de molécules, encore des neurotransmetteurs. Ceux ci vont permettre d'accroître de manière fulgurante la transmission des messages, de focaliser tout l'être de notre semblable sur le caïman et sur l'environnement, d'agrandir son angle de vision... Et aussi d'accélérer la capacité de sa « matière grise » à trouver le moyen de sortir indemne de ce traquenard. Patrice envisage donc de fuir, mais sa mémoire l'en dissuade de suite : il se rappelle qu'il a entendu il ne sait où qu'un crocodile possède une célérité hors du commun. Il décide donc de s'écarter le plus calmement possible, pour atteindre les hauteurs les plus proches. 
 
C'est le cortex frontal, qui joue beaucoup dans la prise de décision, qui transmet ensuite le choix fait au cortex moteur. Celui-ci va permettre à Patrice de fuir, en le mettant en mouvement comme il l'a convenu.

Il recule lentement... Lentement... Mais ô malheur, la bête l'a déjà repéré. Elle jaillit des flots, referme sa gueule.

Patrice est déboussolé, ne sait pas ce qui se passe. Il parvient tout de même à se hisser avec sa main droite à une hauteur assez satisfaisante... Puis s'évanouit. Effectivement, il n'avait pas réalisé que le reptile était reparti avec son bras gauche dans la gueule.